J'ai passé toute mon enfance en Afrique, dans une province de l'ancien Congo belge, le Katanga, dont je ne me souviens plus le nom actuel. Ce furent des années emplies de soleil et de liberté.
Mes parents ont déménagé de nombreuses fois mais j'ai passé le plus clair de mes jours dans une petite bourgade anciennement dénommée Jadotville. Pour un enfant, les activités y étaient très spartiates. Pas de magasin de jouets et une unique petite librairie qui n'était fournie en nouveautés qu'une ou deux fois par an, en périodes de fêtes. J'avais droit à quatre ou cinq livres et je me souviens de dilemmes cruels…Souvent, je choisissais à l'encontre de mon attirance profonde tel livre plutôt que tel autre, uniquement parce qu'il y avait plus de textes et que je prenais beaucoup plus de temps à le lire.

Ce pays était un véritable paradis pour les jeux en plein air mais je préférais déjà de loin lire ou griffonner. Je n'ai conservé que peu de dessins de ma prime enfance, presque tous, au retour de mes parents en Belgique, ayant dû être laissés en Afrique pour cause de surpoids dans l'avion.
Les plus anciens qui me restent ont été retrouvés, il y a peu, chez une amie de ma mère qui les avait conservés. Ils avaient été joints à une lettre, ce qui me permet de les dater précisément…1956 ! J'avais donc quatre ans… Ils devaient êtres inspirés du dictionnaire ou d'un " Tout connaître ", qui étaient à peu près mes seules lectures à l'époque.

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Mon premier contact avec la bande dessiné date de 1957. Ce fut le coup de foudre. Elle ne m'a jamais lâché depuis. Un voisin de mes parents qui vivait seul, sa famille étant retournée vivre en Europe, quittait définitivement l'Afrique. Il a distribué tout ce qu'il avait et a donné à mon père une caisse de BD ayant appartenu à ses enfants. Mon père me les a offertes au fur et à mesure, pour faire durer le plaisir. Parmi les premières, certaines m'ont marqué à vie. Encore aujourd'hui, j'y retrouve une odeur, un parfum, qui me font défaillir de plaisir.
La toute première fut un vieux Bob et Bobette, " Lambique chercheur d'or "… Tout m'y fascinait. Chaque scène, le plus petit trait, la moindre parcelle de dessin sont restés, gravés en moi, indélébiles.
Il y avait là une imagination foisonnante, une liberté totale d'avec le réel, d'avec le moindre cartésianisme, des racines ancrées au plus profond de l'esprit flamand qui expliquent peut-être pourquoi cette série, une des plus fortes ventes jamais réalisée en BD, n'ait jamais vraiment réussi à s'imposer hors des frontières flamandes et hollandaises.
Je pourrais vous citer un nombre infini de cases, de séquences, incrustées en moi…
-Celle où Bobette, couchée dans son lit, est réveillée par le vent et la pluie tombant par la fenêtre, avec une énorme économie graphique qui me laissait pourtant transi…
-Celle où elle s'enfonce dans des sables mouvants, d'où ne surnage qu'une de ses bottes…
-Lambique, ligoté au poteau de tortures, soupesé par le regard d'un groupe de jeunes squaws, en vue d'un éventuel mariage qui, seul, pourrait le sauver…
-Kid Escarboucle, le petit trappeur bedonnant, vivant entouré d'un monceau d'ordures, qui tirait des balles en papier mâché de son fusil kilométrique…
-Suzi, cette locomotive presque vivante, roulant hors de ses rails…
-Cet ours parlant, ce sachem-poupée masqué, si vicieux…Lambique, surnageant dans un torrent, une flèche profondément fichée dans son crâne chauve… Le même Lambique, en papoose, suspendu dans un sac à un piquet, pour assouvir les besoins de maternité frustrés d'un laideron…
Et d'autres, d'autres encore, des quelques albums qui suivirent…
Quelles sommes de bonheur pour un gosse des années cinquante.
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